Catéchisme spirituel pour les personnes qui désirent vivre chrétiennement composé par la R.M. M. Bon D. L J. R. Ursuline à Saint Marcellin en Dauphiné

Transcription patielle de : ASS ms 2056 folios 660-859: suit immédiatement deux copies des Torrents dans ce recueil de 960 pages “constitué à St Sulpice vers 1700” (I.Noye).

Sur la mère Bon :

1. influence sur La Combe (selon DS) cf. notre bio. La Combe : “Né à Thonon en 1640 François reçoit l’habit des Barnabites à 15 ans, est ordonné à 23 ans. Il enseigne avec succès au collège d’Annecy, prêche et collabore aux missions du Chablais. ...est supérieur à Thonon de 37 à 43 ans. Il jouit d’une excellente réputation. Sur le plan spirituel il devrait beaucoup à la Mère Bon. Lié à J.Guyon à partir de 1681, il devient son directeur à 41 ans (c’est l’année de la mort de Bertot).”

2. Vie de JG 1.27.8: “Il se présenta à moi à quelque temps de là, la nuit en songe, une petite religieuse fort contrefaite, qui me paraissait pourtant et morte et bienheureuse. Elle me dit : Ma soeur, je viens vous dire que Dieu vous veut à Genève. Elle me dit encore quelque chose dont je ne me souviens plus. J'en fus extrêmement consolée, mais je ne savais pas ce que cela voulait dire. Selon le portrait de la mère Bon, que j'ai vu depuis, j'ai connu que c'était elle; et le temps que je la vis se rapporte assez à celui de sa mort.” (Qui se situerait donc en 1680)

 

D. Que peut faire l’âme ainsi dénuée de tout plaisir, jugement volontaire et intérêts propres? M. Elle n’a jamais fait de si bonnes affaires qu’elle en fait pour lors, parce que jouissant de (662) Dieu d’une manière inconnue aux sens, elle opère par lui, et il opère en elle de sorte que ses opérations sont toutes saintes et d’un mérite très grand. C’est pour lors qu’elle agit spirituellement parce qu’elle n’agit que par l’esprit de la grâce et qu’elle peut être appelée spirituelle; par cequ’elle n’est plus que pour adhérer à l’esprit de la grace, c’est pour lors dis-je que sa vie peut être appelée spirituelle, parce que pour lors elle peut dire avec vérité les parolles de St Paul je vis en moi mais non plus moi, mais l’esprit de JC vit en moi. ...

D... (668) M... l’anéantissement doit détruire toute présomption et donner la gloire à Dieu de toutes ses bonnes oeuvres. Il faut de plus retrancher les paroles, je ne suis rien, je suis un grand pécheur et je ne fais que du mal, d’autres semblables, lesquelles ordinairement ne sont que compliment de l’amour propre.

(676) D. ...Ce que c’est qu’adhérer simplement à Dieu? M. Adhérer simplement à Dieu, c’est se soumettre à sa volonté, sans raisonnement, par la connaissance qu’il en donne; ne pas prendre conseil avec soi-même pour savoir si on doit se soumettre ou non; et enfin faire la volonté de Dieu intérieurement et extérieurement sans perdre la vue de Dieu pour la faire, et sans s’occuper l’esprit ni de l’intention pour laquelle on la fait ni de la connaissance reçue de Dieu pour la faire. Pour adhérer simplement à Dieu il faut être dans l’action sans y être, c’est-à-dire avoir toute sa vue en Dieu et n’être dans l’action qu’autant qu’il faut pour la faire dans la perfection...

D. ...Pourquoi il faut ainsi nous détruire nous-mêmes pour agir simplement...? M.(677...) il faut nécessairement s’oublier soi-même, ne s’aimer point selon la nature de l’esprit humain et du monde, demeurer abandonné à la conduite de l’esprit de la grâce dans son intérieur et à la divine providence pour l’extérieur. Cette simplicité pour être parfaite demande ces anéantissements parce que son occupation est de regarder Dieu en tout temps et en tout lieu comme son unique objet et sa fin dernière sans permettre même à l’âme qui la pratique de conisdérer distinctement ce qu’elle fait en cette pratique et ce qu’elle y acquiert, non pas même de voir si Dieu est son unique objet par une application particulière (678) de sorte que l’on pourrait dire de l’âme qui agit simplement qu’elle agit purement, parce qu’elle est toute perdue en Dieu et n’agit que par lui, c’est pour lors qu’elle est parce qu’elle cesse d’être à elle-même pour être à Dieu. Cette simplicité nese pratique pas de la même manière dans tous les états de la vie spirituelle. L’attrait de la grace en est la règle et la perfection ...pratiquée en deux états... Le premier est celui auquel l’âme se tient auprès de Dieu par une contemplation affective et active ...une fidélité à se tenir à Dieu par un entretien continuel avec lui affectif, nonobstant ce qui se présente pour l’interrompre en sorte qu’elle naît de vue qu’en celui auquel elle s’unit par amour sans même qu’elle y prenne garde la simplicité ne lui permettant pas ... Au 2e état elle pratique la simplicité par un regard ou vue de Dieu par la foi (679) laquelle nous éloigne de tout ce qui n’est pas Dieu. C’est danscet état de pure foi que l’amour acquiert la parfaite simplicité.

(682) M. ...le chemin que je veus vous montrer et que je souhaite que vous marchiez à grands pas, porte le nom de la Voie ou Chemin Désintéressé; vous y trouverez même cette instruction si vous regardez depuis l’entrée, que ceux qui sont intéressés laissent leurs intérêts avant que d’entrer... D. Ayez la bonté de me conduire à cette porte. M. Je le veux bien et même vous le ferai connaître avant que de vous y introduire. Cette porte n’est autre que l’humble prière... (683)...qui se fait dans le coeur par adhérence aux mouvements de l’esprit de la grâce, lequel donne à un coeur qui lui est soumis, ce qu’il doit demander et la manière... (687) ...il faudrait vous unir à l’esprit saint par un acte d’abandon du vôtre à sa divine conduite le priant de mettre dans votre coeur les prières qu’il veut que vous fassiez...

D. Ne serait-il pas permis de faire des considérations... M. Vous le pouvez si vous le voulez mais comme je me suis engagé à vous faire connaître quelle était la porte par laquelle vous désirez d’entrer, je crois le devoir faire pour votre bien et avancement spirituel; de sorte qu’il ne (688) tiendra qu’à vous d’entrer par elle au Chemin de la vie, que si vous désirez d’entrer par celle que vous vous ferez vous-même; ainsi que plusieurs le font, vous n’aurez qu’à faire de grandes considérations ou raisonnements qui élèveront votre esprit et frapperont votre coeur sans pourtant le rendre meilleur, parce que la grace s’accorde avec l’humble prière et non avec le raisonnement de l’esprit. NS nous l’apprend lorsqu’il nous a dit dans l’Evangile, vous direz notre père... Je suis dans l’étonnement (689) lorsque je vois des personnes qui font gloire de croire en JC et néanmoins ne croient point en ce qu’il nous a enseigné ...ceux qui pensent aller à Dieu par eux-mêmes, qui se font une voie insécure et extérieure. ...Comme s’il dépendait de leur volonté propre de faire choix des sujets par lesquels ils veulent recevoir le dons de Dieu et aller à lui...(690) si enfin ils se rendent, ce n’est que pour quelques instants après lesquels ils se remettent dans leur voie volontaire. Si ces personnes voulaient nous entretenir de leurs expériences elles nous rendraient persuadés du peu d’utilité qu’il y a de se conduire par soi-même, par le peu de progrès qu’elles ont fait... Ces personnes croient que l’on ne peut pas faire autrement pour s’élever à Dieu (691) parce qu’elles n’ont pas d’expérience; ou bien elles prétendent de faire que l’on arrive à la connaissance de Dieu ou de soi-même par ce moyen, lequel considéré dans l’intention est bon. Mais je ne vous cache pas qu’il peut mettre de grands empêchements à l’opération de Dieu en l’âme, qui demande d’elle un grand vide...

D. S’il arrivait des bonnes pensées dans l’imagination... faudrait-il les détruire...? M. ...Il n’y a pas de nécessité de détruire les pensées qui occupent l’imagination : il se peut même faire que l’imagination étant ainsi occupée sans que l’âme ait pris aucun soin, donnera à la volonté une plus grande facilité pour faire sa prière... (692)...prendre garde à ce qui se passe dans l’imagination. Il arrive que ceux qui le font, quittent leur prière pour arrêter cette puissance et la rendre vide de pensées, mais en faisant cela ils ne s’aperçoivent pas qu’ils s’éloignent plus de Dieu par cette occupation volontaire, qu’ils ne le seraient par les divagation de cette volage... D. Quelle différence mettez-vous entre la considération et la pensée qui vient de l’imagination... M. Ce qui fait cette différence, est que la volonté se porte délibérément à faire que l’entendement soit occupé dans une pensée ou sujet pour le considérer... le présenter à la volonté... Si bien que (693) toute l’âme, ou du moins ses trois puissances, se trouvent toutes occupées et remplies de telle sorte qu’il n’y reste point de vide pour recevoir l’opération de Dieu, au contraire une opposition générale par l’attachement volontaire qu’elles ont au sujet qui les occupe. Cette opposition n’est pas dans la pensée qui se présente à l’imagination parce que l’âme ne ’ayant pas choisie elle n’y a pas de volonté ni par conséquent de propriété et d’attachement, et venant à s’en apercevoir, elle s’en défait ordinairement comme d’un sujet qui vient la séparer de celui qu’elle s’est choisi et auquel elle veut se tenir...  Ces pensées qu’elles nomment distractions, ne les distraient point de Dieu, mais seulement des sujets qu’elles avaient choisis pour s’occuper et bien loin de se distraire de Dieu par la vue que l’entendement en a (694) la volonté qui est la puissance plus propre à recevoir l’opération divine se trouve en liberté dans ce temps là auquel l’entendement même ne s’apperçoit pas de son égarement, et au lieu de dire, je suis distrait ou je l’ai été, il serait mieux de dire, ma volonté est demeurée libre pour recevoir sans opposition l’opération de Dieu. ...

(700)... M. Ceux qui disent que l’oraison est un don de Dieu, disent le vrai. Mais lorsqu’ils ajoutent qu’il ne le donne pas à tous, ils se trompent... il ne tient qu’à l’âme de faire oraison... un peu d’amour pour Dieu ou pour elle-même la ferait profiter de l’esprit de prière et d’oraison qui est en elle... on viendrait à connaître par expérience qu’il n’est pas difficile de suivre les divins mouvements pour prier. ...(702) D. ...Je pourrai dire désormais que j’aurai reçu le don d’oraison. M. Vous le pouvez dire sans crainte de mentir, et de plus que vous avez reçu de même par le baptême les trois vertus (703) foi, espérance, charité par les moyens desqu’elles tous peuvent conserver ce don précieux, je veux dire l’esprit de Dieu, oui vouspouvez conserver le divin esprit, vous unir à lui et par lui à JC par la pratique de ces trois divines vertus, lesquelles mettent les âmes qui les ont reçues en état de ne pouvoir pas trouver une excuse légitime pour se dispenser de faire oraison , leurs effets propres n’étant pour l’intérieur qu’une continuelle oraison et union à l’esprit de Dieu...

(707)...si l’on est appelé au silence intérieur :  la privation des effets sensibles de la grace pour retrancher les dérèglements de l’amour propre, n’étant pour l’ordinaire que pour les personnes qui y sont appelées; de sorte qu’elles doivent mettre tout leur soin à se tenir auprès de Dieu et à retrancher toutes les réflexions sur leur état intérieur... il faut qu’elles se perdent si bien en Dieu qu’elles ne voient que lui et non plus elles-mêmes (708) car c’est pour lors qu’il faut augmenter sa perte en lui...

(718)... M. La vérité se faisant connaître ou entendre à l’âme, ne lui ôte pas sa liberté, elle lui présente et donne les moyens pour faire le bien, elle l’?empresse sans la captiver et sans l’y contraindre... D. ...Cette pensée de toujours se renoncer effraye... M. (720)...Les renoncements lui seront très facile, parce que la vérité les lui adoucira et plus elle se renoncera, moins y aura-t-elle de peine, parce qu’à mesure qu’elle se videra d’elle-même par le renoncement, elle se remplira de la vérité par laquelle elle se sentira moins elle-même; de sorte qu’il lui sera plus facile  de s’oublier d’elle-même... Le silence intérieur... (721) met l’âme en paix, sans laquelle la vérité ne serait pas entendue ni par conséquent suivie.

(723)... D. Il faut donc préférer l’attrait qui unit l’âme à Dieu à tous ceux que l’on a pour la pratique de la vertu? M. Oui, il le faut si l’on veut sans peine ...arriver au parfait silence intérieur par lequel l’on est disposé à demeurer dans cette vérité, et la vérité à demeurer en nous. En cet heureux état l’on fait expérience de la vérité de ces paroles, qui demeure en moi et moi en lui fait beaucoup de fruit. On apprend pour lors que le moyen le plus court pour arriver à la perfection et demeurer en Dieu, est de se rendre fidèle à l’attrait qui nous y attire. Combien de personnes s’éloignent de la perfection par le défut de fidélité (724) sans néanmoins en manquer aux autres attraits qu’elles ont pour la pratique des vertus. ... (Ceci par) l’amour déréglé de sa propre perfection ...de sorte que regardant les dispositions que la présence de Dieu lui communique comme moyen de se rendre plus parfait, elle s’y attache et s’en sert par intérêt propre et ne craint point de perdre la vue de Dieu pour celle qu’elle prend plaisir d’avoir en ses dons; de sorte que si la divine bonté ne retirait pas ses dons pour la remettre en son devoir, elle resterait dans son aveuglement.

(725)... D. Comment se doit pratiquer la préférence de Dieu à toute chose? M. Elle est très facile à pratiquer, si on est résolu ...de laisser tous ses intérêts à la porte... se tenir fidèle à l’attrait qui unit à Dieu...

...Dieu est jaloux, qu’il veut tout ou rien et (728) pour tout avoir, il ne faut rien avoir... D. Je ne saurais concevoir comment ces anéantissements sont parfaits, parce qu’il me semble que ce qui ...nous porte à lui sont de grands moyens ...il serait plus parfait de s’occuper de ces choses que d’avoir un esprit vide de tout (729) M. Si l’âme se vidant de ses propres lumières, affections et souvenirs propres n’entrait pas dans une plus excellente disposition et plus propre à posséder la vérité, à l’écouter et à l’entendre, je serais de votre sentiment; mais la connaissance que j’ai des avantages de cette disposition que l’anéantissement apporte dans une âme m’oblige à vous dire que sans elle vous n’entrerez jamais dans le royaume de Dieu, ou pour mieux dire vous ne recevrez jamais cet aimable royaume en vous bien que vous le demandiez... En voici la preuve... Si vous ne recevez mon royaume comme petits enfants, vous n’entrerez point en icelui.   ...Le Royaume de Dieu en l’âme chrétienne n’est autre chose que la vérité qui s’en est rendue maîtresse et la possède, en sorte qu’elle lui est entièrement assujettie... (731) ...mais cet amour propre y fait naître tant de difficultés... D. Je vous prie de  me dire quelques unes des peines qu’il produit... M. Les plus générales sont que l’âme ne saurait arriver à la perfection par cette inaction intérieure qui est à son dire une (732) perte de temps; qu’elle ferait mieux d’agir et de se servir de ses lumièrespuisque Dieu les lui a données... que si elle continue elle deviendra inhabile à tous et dans une bêtise de laquelle elle ne saurait ensuite se retirer. ... D. Je vois qu’il ne me suffira pas de connaître les difficultés pour les surmonter, donnez-moi les moyens... M. Si vous désirez de les vaincre sans peine et avec fruit vous n’aurez qu’à ne pas discontinuer votre fidélité à l’attrait qui vous unit à Dieu, de sorte que vous ne daigniez pas les écouter ni raisonner avec elles, mais les laisser passer comme elles sont venues, si vous vous comportez de cette manière, votre silence intérieur ne sera pas interrompu par leur bruit parce que vous n’y serez pas. ...

(736) L’inaction ou anénantissement pour l’ordre de Dieu étant la grande porte ...(n.n: cf. Lilian décidée à ne rien faire) c’est ce moyen très parfait  lequel donne lieu aux vertus les plus solides parce qu’elles sont toutes spirituelles et épurées de l’amour propre ...souvent imperceptibles à l’âme (qui se plaît) à les ignorer pour leur conserver la pureté dans laquelle ils ont été produits. ...

Dans le temps que la vérité veut établir sa demeure dans l’esprit du quel il demande (738) alors qu’il ne produise pas d’actes qui fassent bruit et empêche son opération; c’est dans ce sens que cette moindre partie de nous-même conduite par l’amour propre, s’oppose à l’inaction de l’esprit, parce qu’elle ne connaît point ses productions étant trop spirituelles; elle consiste à un acquiescement à la divine volonté et en l’abandon. Il me semble que tout ainsi que l’on dit de l’amour lorsque l’âme le possède dans sa perfection, qu’il subsiste en elle par voie d’être que de même les autres vertus y subsistent, puisqu’elles sont en l’esprit comme des émanations du parfait amour qui n’est que Dieu même; de sorte que si l’esprit demeure dans l’inaction active, il est rendu fécond par le seul acte passif de la soumission à la volonté divine ou opération de Dieu. Cet acte renferme en soi tous les autres. ...Un acquiescement de volonté en silence à celle de Dieu par lequel l’esprit (739) agit ou n’agit pas suivant ce que cette divine volonté ordonne, et cet acquiescement produit sans bruit ...pure foi ...sans laquelle il n’aurait pas été produit puisqu’il est son fondement aussi bien que celui de l’amour de la vérité; il n’est pas non plus éloigné de celui de l’abandon de soi-même à Dieu, de la confiance, de l’adoration : car qui est plus abandonné que celui qui se soumet entièrement, et où paraît davantage la confiance, l’adoration plus sainte que par cet acquiescement qui réduit au néant et par lequel il confesse l’être de la vérité et que lui n’est rien, mais disons un Rien propre à l’adorer et louer dignement par humble silence. ...

...curiosité d’esprit... veut tout savoir, tout voir, tout entendre, tout pénétrer. Si même la vérité se fait en (743) quelque manière connaître à l’esprit, elle s’y porte ... elle court à la mémoire pour l’en faire souvenir et fait de même sortir l’entendement de son anéantissement pour le faire discourir dessus...

(745) Dieu est ce grand miroir ...dans la glace duquel l’âme chrétienne aperçoit ses défauts et la fidélité qu’elle a à s’y regarder, lui mérite la grace de les détruire; c’est là que les imperfections lui paraîssent telles qu’elles sont, l’amour propre n’ayant moyen de les couvrir du manteau de déguisement. L’âme qui veille à Dieu, il a lui-même la bonté de veiller pour elle sur elle-même; de sorte qu’elle pourrait dire qu’elle se voit par les yeux de Dieu et non point autrement. ...

(762) ... Ce qu’elle a à faire est de retirer sa vue qui lui fait connaître sa volonté et la remettre en Dieu. Le néant n’est Rien, il ne doit rien faire que laisser faire à Dieu, et encore le laisser faire sans en conserver la volonté ni même le souvenir parce que ce serait être. Ne soyez plus et vous commencerez d’être, je veux dire en Dieu. Que si vous demandez où vous trouverez la vérité, je vous réponds que ce sera où vous ne serez pas et où vous lui laisserez la place vide...

(763) ...(l’âme) quitte non seulement ce qu’elle est par sa nature corrompue, mais encore ce qu’elle est par la grace; elle s’était élevée par l’anéantissement de ce qu’elle avait de naturel au surnaturel, et maintenant elle trouve le moyen d’imiter son sauveur en s’abaissant jusqu’à n’être rien par l’anéantissement du surnaturel... ce néant l’élève jusqu’à la faire devenir un (764) même esprit avec Dieu par l’union de  volonté et je ne crains pas de dire, en la considérant dans cette union avec Dieu, qu’encore qu’elle n’ait pas prétendu en se réduisant au néant, de s’élever, elle a pourtant trouvé le seul et unique moyen de le faire, pouvant dire désormais, au moins tout le temps qu’elle demeureradans le néant par grâce, Je vis moi, mais non plus moi, mais c’est JC qui vit en moi... (766)

D. Le néant ou non-être consiste donc à détruire toutes ses volontés, pour faire être et régner celle de Dieu en leur place, il ne faut plus que veiller à les anéantir. M. Ne dites pas qu’il vous faut veiller, parce que la détermination ou résolution que vous en feriez, aussi bien que la veille vous ferait être. D. Que faudrait-il donc faire? M. Rien autre chose que se remettre dans le néant par un simple regard en Dieu par la foi, lorsqu’on se trouve être (767) par quelque volonté, souvenir ou raisonnement...

(770)... toutes les vertus se puisent en Dieu, comme dans leur source ...pour les acquérir, il faut demeurer en lui par foi et amour... O que c’est posséder la vertu bien purement que de la posséder et puiser en Dieu lorsqu’il s’agit de la pratiquer, on doit être assuré qu’elle n’y manque jamais, ne la cherchons donc pas ailleurs, elle y est en assurance et dans la pureté laquelle n’était pas en nous-même. ... (771)...laisser à Dieu la conduite de nous-mêmes, notre progrès et notre propre perfection. L’âme qui est à Dieu par l’abandon ou donation qu’elle lui fait d’elle-même et de tout ce qui la touche, demeure en repos et en silence auprès de lui sans souci, sans dessein, sans volonté, éloignée de toute inquiétude parce qu’elle ne veut que la volonté de Dieu à laquelle elle adhère simplement, bien que l’amour-propre et la conduite humaine s’y oppose... (772)... tantôt (l’amour-propre) fait voir à l’âme qu’elle perd le temps et qu’elle est obligée à le mieux employer et de prendre plus de soin de la perfection; il lui représente qu’elle n’a point de vertu... Cette pratique se fait en laissant le passé à l’oubli lorsqu’il se présente à notre souvenir, l’avenir à la divine providence, et donnant le présent à Dieu ...pour mettre l’âme en repos et silence intérieur. A dire vrai il n’y a rien de plus doux que de se mettre en liberté et hors de toutes peines: (773) c’est où nous réduit l’abandon ...par les paroles chaque jour suffit à sa peine, il nous convie de jeter nos soins et nos sollicitudes en lui, de n’avoir point de soin du lendemain, ni du vivre, ni du vêtir. ...

(775)...la personne qui est abandonnée à Dieu, ne doit plus se regarder que comme lui appartenant; de sorte qu’elle doit lui laisser tout le soin d’elle... l’indifférence aide beaucoup à se tenir à cet état ...(776)...pour être vertu, il faut qu’elle soit dirigée par la charité ...dans un grand repos et tranquillité auprès de la vérité. L’office particulier de cette vertu est d’aider l’âme à pratiquer parfaitement l’abandon de toutes choses en Dieu. ...De sorte que l’âme qui la pratique arrive dans une disposition qui lui fait dire qu’elle ne se soucie de rien, parce qu’elle ne veut autre chose que Dieu, hors duquel tout ne lui est rien... D. Je ne puis vous taire que l’indifférence (777) me charme à cause de la liberté et dégagement qu’elle procure à qui la possède. Je crois que si elle était connue il y aurait peu de personnes qui ne la missent en pratique. M. Je ne doute point qu’il ne fut ainsi que vous le dites parce que si le désir de se reposer en Dieu, et de demeurer en lui par amour unis, n’était pas suffisant pour la faire pratiquer, l’amour que l’on a pour son propre repos y porterait; de sorte que les deux ensembles procureront bien facilement le bonheur à l’âme sans lequel elle ne sait ce que c’est que parfait repos à cause des changements continuels auxquels on se trouve en cette vie, et desquels la seule indifférence peut mettre l’âme au dessus et lui donner le calme au milieu de l’orage que cause ces divers mouvements. ...

(781)...par la connaissance de soi-même on se voit inhabile à la pratique du bien sans le secours de la grace ... Cette connaissance met l’âme dans la déffiance d’elle-même ... Comment s’appuyer sur un roseau battu des vents et de la tempête sur la mer de ce monde, tout la fait craindre, tout lui fait peur dans la vue de son néant. Chargée de misère et d’impuissance, je ne sais comment elle peut se supporter elle-même ...elle ne le sait pas elle-même. J’estime néanmoins qu’elle ne saurait vivre dans son corps si cette vue lui restait. Ah, il n’est pas possible de la supporter longtemps sans une grace particulière, et je crois que l’âme n’a cette vue que le temps qui lui est nécessaire... (782) (pour qu’) elle pratique le parfait abandon sans peine. ...

(après les premières touches) (793) l’âme dans cette vie de Dieu reçoit de sa bonté  un nombre infini de bons sentiments qu’elle rend en même temps à son bienfaiteur ...mais comme elle n’a pas encore la pureté d’amour qui lui est nécessaire, elle reste dans ses élans et transports d’amour, par l’ardeur desquels elle se purifie et dépouille des sentiments naturels, des désirs des choses créées, des attachements qu’elle y a ... (794) Ces transports et élans amoureux doivent être modérés en sorte qu’ils ne paraissent pas à l’extérieur ...cette grace demande que celles qui l’ont recue commencent à mener une vie cachée ...et pour cet effet elle doit taire tous ses bons sentiments, ne pas parler de Dieu ni de la vertu quelque bonne intention qui la pousse.

(797)...Le pauvre amour propre, plutôt que de souffrir d’être réduit au néant, donne son consentement pour être privé de tout plaisir naturel et surnaturel, et par ce consentement il donne pouvoir à l’âme de le tenir dans l’anéantissement en tout ce qui lui plaira hormis en la soumission qu’il veut pratiquer pour lui aider à être plus parfaite; de sorte qu’il demeure très satisfait de touver par ce moyen où se tenir...

(799)...Dans l’âme qui jouit de la divine lumière en cet état, je dirai que c’est là sa transformation en Dieu laquelle s’est faite dans la même lumière ...ne la prive point de la vue simple de Dieu, toute sa perfection ...ne la fait point regarder elle-même ...elle n’est pas seulement élevée au-dessus d’elle-même mais elle l’est encore au-dessus des dons de la grace. ...(800)... C’est ainsi que Dieu par sa conduite admirable élève l’âme pour l’abaisser, oui, dis-je, c’est jusqu’à ce point de perfection qu’elle est élevée pour être rendue digne de s’anéantir à l’imitation de notre Sauveur. A dire vrai il faut être par grace ce qu’on ne saurait être par nature pour pouvoir en quelque manière imiter notre Sauveur; oui, il faut être dans l’élévation par la grace pour ensuite faire un abaissement qui mérite en quelque manière d’honorer celui que notre Sauveur a fait en quittant lesein de son père...

(802) ...L’occupation de l’âme dans cet état n’est autre qu’une cessation de toute occupation pour se laisser occuper de Dieu seul, un anéantissement continuel de ses puissances intérieures pour se (803) perdre en lui et en être possédé; son oraison peut être appelée un silence intérieur par lequel elle prie ...une contemplation infuse de la part deDieu et passive de la sienne pour el recevoir. 

(805)...C’est à la vérité un grand bien de posséder Dieu, mais c’en est un inestimable d’être possédé de lui, parce que l’âme qui en est possédée est arrivée au pur néant par lequel elle est toute en Dieu, ce que n’est pas celle qui le possède...

(806) D. C’est donc dans l’élévation par grace que l’âme est disposée à faire un anéantissement d’elle-même... M. Il est ainsi que vous le dites, pour s’abaisser il faut être par grace ce que l’on n’est pas par nature.

(808)...La différence qu’il y a entre ces deux vies se connaît plus par les dispositions intérieures de l’âme que par les effets extérieurs qu’elle produit. Celles de la vie inconnue qui se pratiquent dans la vie céleste sont ordinairement une mort à tous les sentiments de la nature et de la grace, qui met l’âme en un éloignement des choses créées et d’elle-même pour être toute en Dieu; de sorte que toute son occupation intérieure est à se cacher en Dieu et à s’ignorer elle-même : pour y avoir plus de facilité elle s’éloigne de la créature, se cache à ses yeux et garde un étroit silence à son égard. La vie d’anéantissement fait que l’extérieur de ceux qui la pratiquent est le même, mais avec cette différence d’intention, que ce n’est plus pour être cachés ou inconnus, mais pour être anéantis dans l’esprit de la créature pr conformité à JC...

(810)... M. L’anéantissement auquel l’âme tient les dispositions à la vertu, leur donne une nouvelle vigueur par ce qu’elle est dirigé par la volonté de Dieu ...laquelle fait la perfection de toutes nos actions ...l’anéantissement est comme une mère des vertus ...l’âme apprend à s’en bien servir, à les pratiquer avec la pureté qui est nécessaire, à retrancher leurs excès, finalement à tenir le juste milieu dans leurs pratiques, à quoi elles ne sauraient réussir si la pratique de la vertu d’anéantissement n’y aidait. ...

D. L’âme demeure-t-elle longtemps dans la pratique de l’anéantissement? M. Elle y demeure jusqu’à ce qu’elle en fasse sa gloire, et qu’elle soit introduite dans la vie surhumaine. ...(811)...(Pour) ceux qui n’ont pas joui de la vie que je nomme surhumaine ...il n’y a rien qui passe dans leur esprit pour surhumain que la lumière surnaturelle par laquelle ils estiment jouir de Dieu et ont été dans la vie céleste : mais ceux qui ont eu le bien de la vie surhumaine vous feraient voir que leurs sentiments ne sont pas les mêmes, parce qu’en donnant le nom de surhumain à ce qui ne tombe pas sous les sens (812) ainsi que la lumière de la grace, ils donnent néanmoins le nom de vie surhumaine aux sentiments contraires à l’esprit humain et à la nature, lorsqu’il arrivent à être la consolation de l’âme qui les possède et à faire sa nourriture ...l’amour des ...pauvretés ...jouisssance des choses ...qui tendent toutes à sa destruction. ...

(813)... que nous puissions dire, je me confie en la grace et je fais de mon côté mon possible pour lui être fidèle.

(814)... l’âme ...ne craint pas de dire qu’elle vit d’amour ...elle trouve cette vie si délicieuse, si pure et si parfaite, qu’elle ne la quitterait pas sans la soumission qu’elle doit à Dieu, par laquelle elle se tient indifférente à tous les sentiments...

(830) ...le pur amour c’est Dieu même ...mais je vois bien que ce n’est pas ce que vou voulez savoir, c’est plutôt ce que c’est que d’aimer purement...

(831) M. Aimer Dieu par lui-même c’est avoir anéanti toutes ses propres opérations excepté celle de la simple attention à Dieu par la foi et la simple adhérence... il lui semble toutefois souvent qu’elle est sans amour parce qu’elle n’a plus de sentiment sensible ni d’affection dans le coeur qui l’en assure : comment pourrait-elle en avoir puisque pour aimer purement il faut de nécessité n’être plus...

(832)...la vertu de simplicité ...est une émanation de l’être simple de Dieu ...elle fait que l’âme quitte la multiplicité pour se tenir dans l’unité, qu’elle quitte toutes pensées et même les lumières surnaturelles et les graces reçues pour ne voir que Dieu; de sorte que l’on peut dire qu’elle ne voit ni à droite ni à gauche, ni en arrière, la vue étant uniquement attachée et fixée àson unique objet par lequel et dans lequel elle voit tout ce qui lui est nécessaire.

(833)... D. J’ai souvent ouï dire qu’il y avait bien des croix... (835) M. Vous en jugerez vous-même ...il se trouve des peines et des croix dans la vie intérieure, mais je vous dirai aussi que Dieu y donne tant de force pour les porter, que cela ôte une grande partie de ce qu’elles ont de rude et de pesant et qu’elle ne méritent pas le nom de croix. Sachez pour une bonne fois que celui qui aime Dieu, aime la croix, cela étant elle ne lui est plus croix, mais un doux plaisir. ...(841)...L’excès ...se remarque ...de l’occupation qu’elle fait en elle-même de la souffrance préférablement à Dieu. De sorte qu’elle pense plus à souffrir ...ou à la souffrance qu’elle porte que non pas à se rendre fidèle à Dieu et à son attrait.

(848)... D. En quoi consiste cette pureté qu’elle acquiert par ces souffrances? M. Elle consiste dans une destruction des dérèglements de l’amour propre...

D. L’âme n’acquiert-elle point d’autre bien... M. ...La connaissance expérimentale d’elle-même, par laquelle elle est en état de ne se fier plus à elle-même, et de ne s’attribuer jamais la gloire du bien qu’elle fera, mais à Dieu qu’elle voit en être l’auteur. ...(849)...Cette connaissance de soi-même est conservatrice des biens de la grace dans l’âme qui les possède, c’est elle qui détruit l’orgueil de l’esprit et toute présomption et vanité.

(856) (Découragement et désolations par) défaut de nourriture spirituelle... n’est pas si facile à quitter que le premier (celui des tentations dont il est question auparavant) parce qu’il est plus aisé de se  défaire du démon que de soi-même; mais on doit néanmoins y apporter les remèdes que Dieu veut. Le premier est de se tenir au-dessus de soi-même en Dieu avec une grande fidélité, se contenter de sentir la ?révolte qui est dans la moindre partie de l’âme sans y descendre... de passer un jour après l’autre comme on peut sans s’inquiéter... (857) ...la grace y sera communiquée (858) pour les porter ...ordinairement ceux qui ont le bonheur d’y arriver sont destinés de Dieu pour aider le prochain... (fin)